
Ele.me et Meituan : comment la livraison de repas à domicile est devenue le quotidien des chinois
Alors qu’en France on voit se multiplier les publicités pour UberEats ou Deliveroo, en Chine les services de livraison de repas à domicile font déjà partie du quotidien des chinois. Commander ses repas plusieurs fois par semaine est devenu une habitude pour la génération des 20-30 ans : c’est pratique, rapide et peu cher. Deux entreprises ont pratiquement le monopole de la livraison de repas en Chine : Meituan et Ele.me.
Meituan a été fondée en 2010, à l’origine c’était une entreprise spécialisée dans la vente en ligne groupée comme Groupon, puis elle s’est diversifiée. Aujourd’hui elle est connue pour son application de livraison de nourriture à domicile, Meituan Waimai (美团外卖). Meituan est une filiale de Tencent, le grand groupe derrière Wechat.

Ele.me (饿了么), fondée en 2008, est une autre plateforme de livraison à domicile, c’est une filiale du grand groupe chinois Alibaba. Au départ, Ele.me s’adressait principalement aux étudiants qui voulaient se faire livrer rapidement leurs repas et ne pouvaient pas toujours cuisiner dans leurs dortoirs.

Ele.me couvre environ 37% du marché de la livraison de repas en Chine, et Meituan 61%. En Chine, le marché représente 35 milliards de dollars, soit environ 31 milliards d’euros. En 2017, le chiffre d’affaire de Meituan s’élevait à 33,9 milliards de yuans.
Qu’est-ce qui fait leur succès ?
C’est pratique et peu cher
Dans toutes les villes de Chine, on peut se faire livrer n’importe quel plat et à n’importe quelle heure ! Et la plupart du temps, pour bien moins cher que si on le cuisinait soi-même ou qu’on se déplaçait dans le restaurant, car les deux applications concurrentes se battent pour offrir les réductions les plus avantageuses.
L’offre est très large
Leurs services se développent à toute vitesse : maintenant il est même possible de faire ses courses via ces applications, de commander des produits frais, des gâteaux, des fleurs, de l’électronique ou des médicaments, et tout cela vous sera livré dans l’heure. Les applications signent des partenariats avec de grandes enseignes internationales comme Starbucks, McDonald’s, Dominos, …
Une forte demande
D’après une étude, environ 35% des utilisateurs de Meituan et Ele.me commandent 1 à 3 fois par semaine, et 35% le font 4 à 6 fois par semaine. Le prix attractif, mais surtout le gain de temps, incitent les chinois à changer leurs habitudes et à abandonner leurs cuisines. La plupart des jeunes chinois ne savent d’ailleurs pas vraiment cuisiner (à part les nouilles instantanées), et les dortoirs des universités ne sont presque jamais équipés de cuisines. Alors qu’ils avaient pris l’habitude de manger dans les cantines et petits restaurants, à présent ils se font directement livrer chez eux ou au bureau.
Un immense réseau de distribution
Contrairement à la France où les applications de livraison de repas ne sont encore limitées qu’aux grandes villes, en Chine elles livrent partout, en un temps record. Meituan par exemple emploie 600 000 livreurs servant 400 millions de clients par an dans 2800 villes !
Des super-applications
Meituan et Ele.me sont toutes les deux des « super-applications », c’est-à-dire que tous les services qui pourraient être utiles aux consommateurs sont disponibles sur une seule plateforme. Pas besoin de télécharger une autre application et d’encombrer son téléphone. Acheter un ticket de cinéma, un billet d’avion, commander un taxi ou son déjeuner, réserver une table, une chambre d’hôtel ou utiliser un vélo en libre-service : tout cela est possible en utilisant une seule et même application. En plus de faire gagner du temps, l’interface est facile d’utilisation : les consommateurs n’ont plus aucune raison de se servir d’autres applications.

Les critiques :
Sur les routes, les livreurs en scooter sont de plus en plus nombreux, et mettent souvent leur vie en danger pour multiplier les livraisons et arriver à temps. Un livreur gagne entre 13 et 26 euros par jour, et environ 1 euro par livraison, s’il n’a pas de retard. Beaucoup de livreurs, qui ne respectent pas toujours le code de la route et les règles de sécurité, ont été victimes d’accidents de la route. Meituan et Ele.me travaillent à répondre aux problèmes rencontrés par ce métier, qui recrute de plus en plus.

Pour les restaurants, l’importance croissante des commandes en ligne change aussi la donne. Il est quasiment impossible aujourd’hui pour un restaurant en Chine de fonctionner sans être présent sur au moins une des applications. Mais pour attirer l’attention des clients sur la plateforme, il leur faut baisser considérablement les prix ou payer pour apparaitre dans les premiers résultats, ils font donc peu de profits supplémentaires pour beaucoup plus d’efforts. C’est toute une économie qui se réadapte : certains restaurants n’ont même plus de tables pour servir des clients, seulement des cuisines, et ils ne servent que les commandes en lignes. Ces « restaurants fantômes » ou « restaurants virtuels » se multiplient dans les grandes villes.

L’ascension rapide des applications de livraison de nourriture a aussi un lourd impact sur l’environnement : une commande moyenne compte 2 à 3 boites en plastique, 2 sacs plastiques, des baguettes à usage unique, des serviettes en papier et parfois des couverts en plastique. Tout ça représente une grande quantité de déchets, dont la plupart ne sont pas recyclables. En 2017, les commandes sur Meituan ont nécessité 20 millions de paires de baguettes jetables par jour en Chine. D’après des scientifiques, la livraison de nourriture serait responsable de 1,6 millions de tonnes de déchets par an dus aux emballages. Les applications et les restaurants commencent à mettre en place des solutions, comme ne pas donner de couverts jetables s’ils ne sont pas demandés par les clients.
Malgré leur succès, Meituan et Ele.me ne font pas tant de profit qu’on pourrait le croire, et doivent investir beaucoup pour se mettre à jour et rester compétitives. Les applications font du profit sur la livraison dans certaines grandes villes, mais au niveau national elles perdent encore de l’argent. Il faudrait encore au moins 2 ans pour que la livraison de repas à domicile devienne rentable.
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En France, les applications de livraison de repas ne sont qu’à leurs débuts, réduites à quelques grandes villes, avec une offre beaucoup plus limitée, et encore peu avantageuses pour les restaurants et les consommateurs. On ne peut même pas s’imaginer en comparaison à quel point les « super-applications » rendent la vie plus pratique ! Après l’arrivée des trottinettes électriques et des vélos Mobike, on peut s’attendre à ce que les « super-applications » se développent bientôt chez nous. Pendant ce temps, la Chine commence à tester la livraison par drones : toujours une longueur d’avance !
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